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Mars à Tarbes est placé sous des signes Ducassiens. Une série de manifestations autour de Lautréamont avec pour point d’orgue une création théatro-musicale sur les Chants de Maldoror : l’Opéra de Maldoror.

Ce qui m’a fait penser à un texte encore plus inconnu que les autres de Derème : celui d’une de ses conférences. Parce que non content d’avoir été journaliste, rédacteur en chef, poète, essayiste, chroniqueur, critique, Tristan Derème était un redoutable conférencier. Si ses textes sur Racine, Molière et d’autres sont aujourd’hui égarés, il en est un qui demeure puisque édité en son temps, doublement mémorable : car c’est celui qu’il donna en DUO avec son amie Béatrix Dussane, plusieurs fois, sur une querelle qui semblait prendre ses racines dans leur vie privée et personnelle et qu’ils mirent en scène : la querelle des poètes et des comédiens. Où l’un parle de l’inutilité voire de l’hérésie de jouer un texte tandis que l’autre l’exalte…

Difficile d’extraire quelques lignes d’un texte aussi long (25 pages). S’agissant de propos sur le théâtre, pourquoi ne pas commencer par l’entrée et finir aux applaudissements avec beaucoup d’émotion.

 

La-querelle-des-comediens-et-des-poetesLa Querelle des Poètes et des Comédiens

Conférence de Mme Dussane, de la Comédie-Française et de M. Tristan Derème
Faites le 7 mars 1928, répétée à Bruxelles le 23 mars.

Au moment qu’ils entrent en scène, Mme Dussane et M. Tristan Derème continuent la discussion qu’ils avaient entreprise dans la coulisse.

M. TRISTAN DEREME

Nous en discuterons, madame, autant qu’il vous plaira !

Mme DUSSANE

Et la querelle, certes ne s’éteindra pas faute d’arguments ! Mais que vois-je ?…

M. DEREME

C’est un charmant auditoire, ou, pour mieux dire, c’est un tribunal qui saura décider de notre affaire.

Mme DUSSANE.

Une table ou plutôt deux tables…

M. DEREME.

Deux carafes, deux verres d’eau…

Mme DUSSANE

Deux fauteuils assez confortables…

M. DEREME.

Et l’on a levé le rideau…

ENSEMBLE

Asseyons-nous.

ENSEMBLE

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs

(les deux répliques suivantes ensemble)

Mme DUSSANE

Il s’agit de la querelle des poètes et des comédiens, querelle où, bien entendu, les comédiens ont raison…

M. DEREME.

Il s’agit de la querelle des comédiens et des poètes, querelle où les poètes, je vous l’assure, n’ont pas tort…

Mme DUSSANE

Oui. C’est très joli la littérature simultanée, mais ce n’est pas très intelligible ! Nous ferions peut-être mieux de parler l’un après l’autre !

(Rires)

M.DEREME.

Eh ! pourquoi ? Chaque auditeur est pourvu de deux oreilles et nous peut donc entendre tous deux à la fois : ce serait plus court et on remarquerait beaucoup moins notre nombre. J’entends déjà que l’on s’écrit :
Quoi deux conférenciers pour une conférence !

Mme DUSSANE

Des thèses qu’on soutient, voyez la différence !

M. DEREME

L’un combat le théâtre

Mme DUSSANE

                                   Et l’autre le défend !
Saurai-je triompher ?

Mr DEREME

                                   Serai-je triomphant ?

ENSEMBLE

C’est vous donner quoiqu’on en die,

La comédie

 

……….

 

Et le final

 

Mme DUSSANE

Nous discutons depuis une heure
Et jouons de deux violons ;
Depuis une heure nous parlons
Et querellons.
Il faut que la dispute meure.

M. DEREME

Je voulais vous convaincre et n’y sus parvenir

Mme DUSSANE

A vous convaincre aussi je mettais mon plaisir.

M. DEREME

Pouvons nous espérer que le public se plaise,
Admettant l’une et l’autre thèse…

Mme DUSSANE

Non point ! Si j’ai raison, c’est que vous avez tort !

M. DEREME.

J’avais un argument encore plus fort…

Mme DUSSANE.

Vous raillez ! Il convient, Derème, qu’on se taise…

M.DEREME

L’auteur rêve à sa pièce et médite aujourd’hui
On applaudit demain…

Mme DUSSANE.

                                   Quoi donc ?

M. DEREME

                                                           L’âme d’autrui.

Mme DUSSANE

Quoiqu’en dise Derème et sa docte cabale,
Le théâtre est divin, il n’est rien qui l’égale ;
Et si vous méprisiez ce charmant univers
(C’est le théâtre on le devine)
Où frémit Hermione, où s’emporte Dorine,
M’auriez vous demandé que je dise quelques vers ?

 (Rires. Longs applaudissements. Nombreux et chaleureux rappels. Le public, ravi de cette forme dialoguée si originale, fait le plus vif succès au deux spirituels contradicteurs)

 

 

Et si vous méprisiez ce charmant univers
M’auriez vous demandé que je dise quelques vers ?

Ambiguïté d’un texte, ambiguïté d’une scène à laquelle on regrette de ne pas avoir assisté…

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