Cour d’Assises des H.-P.
Audience du 23 septembre

C’est à 1 h 30 que M. le conseiller Aveillé, président, déclare l’audience ouverte. M. le substitut Gaulène occupe le siège du ministère public. Les curieux ont accouru en foule.
M. Laterrade, greffier, lit l’acte d’accusation :
Mlle Mourelot (Marguerite-Jeanne-Eugénie), née le 5 avril 1857 à Madiran, ménagère, demeurant à Madiran, est accusée d’infanticide.
Dans le courant de l’année 1918, Mourelot Bellar (Marguerite). Jeune fille de 22 ans, demeurant à Madiran, qui avait pour ami un jeune homme du hameau de Mazère, était devenue enceinte : elle fit tous ses efforts pour dissimuler sa grossesse et n’y parvint point.
Ses voisines remarquèrent vite le changement qui s’opérait en elle. Sa sœur Marie, ainsi que Mme Marceline Dupuy, l’interrogèrent nettement à ce sujet. Elle ne leur fit aucune réponse ou se contenta de nier.
Le 20 mai 1919, dans la nuit, elle accoucha près d’un vivier situé derrière sa maison et où elle prétend qu’elle s’était rendue pour laver du linge.
« J’ai pris l’enfant, puis je lui ai placé mon tablier sur la figure espérant ainsi l’empêcher de crier. Comme il criait encore, je lui ai serré le cou avec le même tablier. Lorsque ses cris ont cessé, je suis rentrée dans ma chambre, tenant l’enfant dans mes mains. Je me suis ensuite couchée ».
Ayant ainsi étouffé son enfant, la fille Mourelot le cacha pendant deux jours dans une malle et le jeta ensuite dans un puits abandonné et très profond, situé à 300 mètres de là. Cela fait, elle revint chez elle, vaqua à ses occupations. Rencontrant une voisine, elle lui dit d’un air de défi, en montrant sa taille redevenue fine : « On a levé des critiques contre moi. On a dit que j’étais enceinte. Qu’on le voie maintenant. »
Cependant, sur dénonciation parvenue au Parquet, une information fut ouverte. Entendue par la gendarmerie, la fille Mourelot s’enfuit, se cacha (pendant quatre jours dans les champs ou dans les bois, puis se constitua prisonnière et fit des aveux complets.
Le 12 juin, le Parquet s’étant transporté sur les lieux. Le corps de l’enfant fut retiré du puits où elle l’avait jeté. Il était placé dans un sac avec des pierres destinées à le maintenir au fond de l’eau. L’autopsie fut immédiatement pratiquée et le médecin légiste constata que cet enfant, du sexe masculin et bien constitué, était né à terme vivant, viable, qu’il avait été étouffé, que son cordon ombilical n’avait pas été lié et qu’il avait été jeté mort dans le puits.
Mourelot-Bellar [Marguerite], paraît avoir prémédité son crime. Cette préméditation est cependant niée par elle. Elle déclare en effet qu’elle avait l’intention de confier son enfant à la maternité, mais qu’un accouchement prématuré l’avait surprise ; elle serait tombée dans l’eau tandis qu’elle lavait. Cette chute aurait hâté sa délivrance, elle se serait alors affolée. Diverses circonstances ont été relevées dont l’ensemble permet d’écarter cette explication. Il est inadmissible que l’accusée se soit rendue de nuit auprès d’un vivier pour y laver du linge qu’elle aurait pu. Tout à son aise, laver dans la journée du lendemain. Si, de nuit, elle a quitté sa maison, c’est simplement pour dissimuler un accouchement qu’elle sentait imminent. Si elle avait tenu à placer l’enfant dans une maternité, elle aurait fait des démarches. Demandé un conseil, préparé un trousseau. Elle n’a pris aucune de ces précautions. On a donc le droit de dire qu’elle a dès le début de sa grossesse prémédité le crime qu’elle a commis et que lorsque dans la nuit du 18 mai, elle a quitté sa maison pour aller accoucher dans un champ, auprès d’un vivier, elle se rendait dans ce lieu avec l’intention de commettre un infanticide.
L’accusée n’a pas d’antécédents judiciaires. Sa conduite et sa moralité laissaient à désirer.

L’ACCCUSÉE

L’accusée est comme accablée. Assise, la tête basse, elle ne cessera de pleurer dans son mouchoir. De temps en temps, le bruit de ses sanglots s’élèvera entre deux phrases d’un témoin, du réquisitoire ou de son avocat. On la sent dépourvue de toute méthode ; elle n’essaye même pas de se défendre ou par des tentatives si rares et si pauvres… Elle n’a pas cherché à lier des arguments. Elle avoue ; elle avoue. Elle a étouffé son enfant sous un tablier de grosse toile, dans l’obscurité, au bord d’une mare. Il criait ; elle lui a un peu serré le cou. Et puis, il n’a plus crié.
Un flot châtain de lourds cheveux déborde d’un voile noir, noué sous son menton et dont les pans descendent plus bas que la ceinture, le long d’un simple corsage blanc marqué de cercles noirs et lacé sur la gorge d’un cordon noir. Elle porte un fichu de laine noire et une jupe noire. Le visage, ou ne le voit guère sous le mouchoir perpétuel, et l’absence de visage ne messied pas à l’absence de pensée. Quand il apparait, il n’exprime ni malice, ni ruse, mais une sorte d’abattement effaré. Ou dirait quelle se sent perdue. Elle ne luttera pas. Elle pleure.
Si on l’interroge, on a peine à saisir ses paroles ; puis parfois la voix s’élève, machinale, égale ; la voix d’un enfant qui récite et qui ne comprend pas.

LES TÉMOINS

On entend, tour à tour, Mlles R… et G… de Saint-Julien, qui nous apprennent que Mlle Mourelot n’avait pas très bonne réputation.
Mme Semmont, sœur de l’accusée, comparait aussi, ainsi que M le docteur Cazade, médecin légiste, et Mlle Berthe Bacqué.
Voici encore Mme Marceline Dupouy, 75 ans, vêtue à l’ancienne mode des paysannes aisées, avec le foulard noir. Dans la salle des pas perdus, elle appuie sa marche sur une canne insolite ; c’est un manche de parapluie en fer, à poignée de bois. Sa voix est nasillarde, mais fort claire ; son langage vert et pittoresque, ses yeux pétillent. Mais quand ou lui demande quel est son nom de jeune fille, c’est toute une affaire : elle l’a oublié. À un certain moment, je ne sais comment elle s’y prend, mais on la croit veuve.
– Je ne suis pas veuve, proteste-t- elle.
– Tant mieux pour votre mari, répond M. le Président, avec un sourire.
Il y a aussi Mme Bayle, coiffée d’un mouchoir blanc, qui flotte avec éclat derrière elle. À l’entendre, on dit du mal de bien des gens et des meilleurs. « Si on voulait aller par là… on peut de tout le monde. Là même où il n’y en a pas, on en dit. »
Paroles précieuses pour l’avocat qui ne manquera pas de les utiliser.
L’amour qui pardonne
On introduit, le dernier, M. D., que la défense a fait citer ces jours derniers seulement. C’est un homme raisonnable à le voir. Il a 35 ans environ. Il est propriétaire.
Il a même actuellement un emploi dans les Postes comme intérimaire. Il a purement aimé Mlle Mourelot. Il voulait l’épouser. Il n’a jamais su qu’elle attendait un bébé. Il sait tout maintenant et il l’aime encore et il veut toujours l’épouser. Si Tolstoï, rajeuni, pouvait revenir de la neige funèbre d’Isnaïa Poliana. Il ne parlerait pas autrement, il ne montrerait pas plus de simplicité, plus de sincérité, plus de candeur, plus de grandeur naïve. Les assistants se regardent et le regardent, stupéfaits. Sa main tremble un peu. L’accusée sanglote. On suspend l’audience.

LE RÉQUISITOIRE

M. le substitut Gaulène se lève. La croix de guerre est attachée à sa robe. Il va parler sobrement, brièvement, avec clarté. Il est éloquent et maître de son éloquence. Il ne s’embarrasse pas de ces phrases qui ne semblent grandes que parce qu’elles sont vides. Il va droit au fait : cette femme a tué. Elle doit être châtiée. Et comme on sent qu’il frappe où il faut quand il déclare que l’indulgence pour les coupables est une injustice à l’égard des honnêtes gens ! Absoudre la faute, n’est-ce point replacer ceux qui ont volontairement péché à côté de ceux qui sont restés purs ; n’est-ce pas, plutôt, en venir jusqu’à abaisser les justes au niveau des malfaiteurs ?

LA PLAIDOIRIE

La tâche de Me Sabail est fort ardue. Le coupable n’est pas là, dit-il, puisque ; c’est celui qui a abandonné ma cliente après l’avoir séduite. L’accusée est une victime.
Me Sabail défend la cause avec ardeur.
Il marche tout le long de la barre ; il entre dans le prétoire et sa robe ouverte lutte sur ses épaules. Sa moustache longue, épaisse et grise, se relève et s’épanouit sur son visage sévère et coloré. Il parle avec gravité et, taisant le crime, montre aux jurés l’énormité de la peine – les travaux forcés à perpétuité — qui menace l’accusée. L’accusée sanglote.

LE VERDICT

M. Lavedan, chef du jury, lit le verdict. Marguerite Mourelot est déclarée coupable d’a voir donné la mort à son enfant nouveau né. La préméditation est écartée et des circonstances atténuantes accordées.

LE JUGEMENT

Marguerite Mourelot est condamnée à quatre années d’emprisonnement et aux frais envers l’État.
Il est six heures.
La condamnée sanglote.

T. D.

Aujourd’hui à 1 h 30, affaires Balarin et Barrère.

(Les Pyrénées du 24 septembre 1919 – Archives départementales des Hautes-Pyrénées)

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