Cour d’ Assises des H.-P.
Audience du 22 septembre

C’est aujourd’hui que s’ouvre la session par l’examen et le jugement d’une pénible affaire d’avortement. 
À 1 h 30, la Cour fait son entrée. Un public assez nombreux a envahi la partie du prétoire qui lui est réservée. Un piquet d’infanterie assure l’ordre.
M. le conseiller Aveillé, de la Cour d’appel de Pau, préside, assisté de M. le vice-président Bez et de M. le juge Seignouret. M, le procureur Destouet occupe, lui-même, le fauteuil du ministère public. M. Laterrade, greffier, dont la robe noire se pare de la Médaille militaire et de la Croix de guerre avec palme, procède à l’appel des jurés. Le jury constitué, les accusées sont introduites et prennent place dans leur box, encadrées de gendarmes. Au banc de la défense, Me Dangos, avocat de Mme et Mlle Borie, et Me Jean Bordes, qui soutiendra la cause de Mme Glère, sage femme. Cette dernière est accusée d’avoir, par ses manœuvres, empêché la naissance de l’enfant de Mlle Borie et Mme Borie se trouve conduite à répondre de sa complicité dans la délivrance criminelle et prématurée de sa fille. Si l’on examine les accusées, on constate que l’on se trouve en présence d’une série qui se déroule du type campagnard au modèle — si l’on peut dire — des villes.
Mme Borie est la paysanne. Elle est coiffée d’un mouchoir, noir, noué sous le menton. La portion de sa chevelure qui apparaît divisée en deux parties égales est tirée vers les tempes. Le visage jaunâtre, cuit par le soleil, éclaire d’un léger rouge brique aux pommettes, marque une résignation d’une tristesse désolée. Quand on l’interrogera, elle répondra gravement, les mains jointes, comme si elle priait. N’a-t-elle pas tenté, vainement d’ailleurs, de faire inhumer l’enfant sacrifié en terre sainte, au cimetière Saint-Jean ? Sa lèvre supérieure est retroussée, à gauche, comme dans un sanglot muet et perpétuel. 
Sa fille, Mlle Borie, est muette, assez insignifiante. Elle est larmoyante et fatiguée, les yeux battus et gonflés. Elle a dû beaucoup pleurer. Elle a des frisous tristes sur les tempes et une frange de cheveux qui lui descend sur le front. Mais elle ne porte plus le foulard maternel. Elle a la chevelure nue, et son corsage à petits carreaux blancs et noirs, avec son échancrure carrée, se rehausse d’un col marin bleu Nattier.
Enfin, Mme Glère est la femme des villes. Ce voile de crêpe qui tombe de son chapeau noir, encadre un visage assez distingué, aux joues un peu molles à la moue continuellement dédaigneuse et aux yeux fins, pour ne pas dire malins. Avec son nez aquilin, son expression méprisante et désinvolte, elle évoque telles dames mêlées aux affaires du XVIe siècle.
C’est le début à la barre des assises de Me Jean Bordes, fils du distingué juge d’instruction, et la bienvenue lui est tour à tour et cordialement souhaitée par Me Dangos, M. le Président et M. le Procureur.
On procède à l’appel des témoins : M. Moulin, commissaire de police, et M. le docteur Cazade, médecin de l’hôpital de notre ville.
Mais, à la requête du ministère public, et par arrêt de la Cour, le huis clos est prononcé, en raison de la nature de l’affaire. La salle est évacuée.
Ces débats clos, l’audience redevient publique. Il fait à peu près nuit. N’aurait on pas fait toute la lumière ? On ouvre les robinets du gaz, et sous l’allumoir, chaque bec se pare d’un papillon jaune et bleu. Chacun a peine, cependant, à lire au fond de sa conscience. Il fait si sombre qu’on ne voit guère si les accusés sont assis à leur banc. Seraient- ils déjà noyés dans les ténèbres du châtiment ? On allume une bougie sur la table de M. le procureur ; une autre sur celle de M. le greffier ; une autre devant M. le chef du jury. Entre les deux candélabres, on voit luire les larges galons d’or de la toque de M. le Président, ses curieuses lunettes rondes, cerclées d’écailles sur son visage jeune, sa robe rouge et noire, et les galons d’argent de ses assesseurs. Ce spectacle est impressionnant.
Le jury délibère de 7 h à 7 h 30, puis de 7 h 45 à 7 h 50, pour réparer un vice de forme. Il déclare Mme et Mlle Borie innocentes et Mme Glère, coupable avec, des circonstances atténuantes, mais en même temps, avec cette circonstance aggravante qu’elle est sage femme et que par conséquent, son rôle étant de conduire les enfants vers la vie, sa faute est d’autant plus lourde.
Le jugement :
La Cour, après avoir délibéré de 7 h 33 à 8 h 12, acquitte Mme et Mlle Borie et condamne Mme Glère à 3 ans d’emprisonnement et aux frais envers l’État.

T. D.

Aujourd’hui, à 13 h 30, affaire Mourelot, infanticide.

(Les Pyrénées du 23 septembre 1919 – Archives départementales des Hautes-Pyrénées)

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