« Connaissez-vous le cimetière de Bagneux ? C’est un beau lieu pour la méditation. Allez-y par un de ces clairs jours d’automne dont la précaire splendeur est si poignante. Franchie la lèpre citadine, vous reconnaîtrez les environs de la nécropole à l’odeur de friture répandue par de nombreux bistros : il convient en effet de tenir des réconforts toujours prêts pour les cortèges harassés, dont les crêpes neufs traînent volontiers quelques instants sur une table vineuse. Mais déjà les fleurs entassent leurs parfums cléments des deux côtés de la porte de bronze, et derrière ce mur la plus noble paix vous accueille. Des longues allées d’arbres puissants, le pieux mensonge des buissons dont la verdeur masque la foule blafarde des tombeaux, une calme perspective pleine de ciel et, derrière la haie le plus proche, une sévère dalle de marbre gris : ici achève de se disperser la poussière humaine qui, sous le nom de Jules Laforgue, fut, pendant l’éclair d’une jeunesse, animée d’un souffle dont nos âmes tressaillent encore.
Au seuil de cet automne qui demeure saison, il est doux de songer à lui dans ce grave jardin baigné de toute la lumière que peut verser le pâle ciel parisien ; il est plus doux encore se prolonger la résonance de sa parole, de mesurer à des signes certains le grandissement de cette jeune ombre… »
Ainsi débutait un long article sur Jules Laforgue écrit par la Clymène de Tristan Derème, Béatrix Dussane, en 1924 dans la revue littéraire le Divan:
« …Il semble que nous ne nous lasserons jamais de tâcher à connaître plus étroitement ce jeune mort, si vivant, si douloureusement fraternel ; toutes les images qu’on nous rend de lui nous sont chères, chaque heure de sa froide destinée est précieuse… »
Continuait-elle…
Voilà donc l’occasion d’un anniversaire d’une vie Monotone et d’une œuvre Originale. Reprenons Les Complaintes et tous ses vers, (« Oh ! mes humains consolons nous les uns les autres… »), relisons ses Moralités… lisons du Laforgue…
Pour le plaisir un très court extrait du Concile Féerique, superbe texte à lire avant de tomber amoureux:
…
LE MONSIEUR ET LA DAME
Ah! tu m’aimes, je t’aime !
Que la mort ne nous ait qu’ ivres morts de nous-mêmes