La première page de l’ouvrage, Le quatorze juillet ou petit art de rimer quand on manque de rimes, Tristan Derème, Emile-Paul Frères 1925 :
Quatorze juillet ! et nous finissions l’après-midi chez M. Théodore Decalandre, à Tarbes. Par les persiennes glissaient les nappes brûlantes d’un soleil oblique, cependant que trois orchestres jouaient à la fois sur la place Maubourguet, où les ormeaux laissaient pendre leur verdure triste, dans la poussière et la chaleur. On entendait aux violons l’amour avide et langoureux de Dalila, la Valse bleue et les tempêtes ridicules d’un jazz-band.
– Que n’ai-je trois oreilles ? …murmura M. Decalandre.
D’un quatrième orchestre, qui errait par les rues et qui donnait à danser aux carrefours, s’éleva l’allégresse mélancolique d’une polka que soulignaient les rugissements d’un trombone grognon.
Chacun rit et se rue
Et tourne ; tu n’as qu’à
Descendre dans la rue
Pour danser la polka,
improvisa M. Baramel.
L’heure approchait du dîner. Les musiciens regagnaient leurs tanières pour reprendre, aux viandes comme aux vins, quelque vigueur, afin de cadencer ensuite et d’enivrer les bals de la nuit. Alors, tous les phonographes de la ville se prirent à chanter du nez. Il y en avait aux fenêtres ; il y en avait dans les corridors ; il y en avait, je pense, sur les ardoises bleues des toits pointus….
Dieu que le Gramophone est triste Quand je bois, dit M.Decalandre, en élevant son grand verre, et comme, en ce vacarme, nous nous mettions à table, – en souvenir de Jules Laforgue qui avait, en cette ville, vécu les jours de son enfance et en songeant aux lumineuses guirlandes qu’on allumait et qui allaient éblouir les branches du Marcadieu, il dit encore :
J’ai le cœur triste comme un lampion forain.
Puis, tandis qu’on apportait une immense soupière de faïence blanche et bleue, qui, le couvercle enlevé, laissait monter, vers la lampe de cuivre au plafond suspendue, l’abondante vapeur de la familiale garbure, où flottaient les parfums du chou vert et de la cuisse d’oie confite…
Etc.