À Michel Puy

Que mes poèmes soient étranges
et qu’on les raille et leur auteur,
cela m’est peu, car les louanges
ne sont pas chères à mon cœur,

hors celles de quelques poètes
au cœur fervent, au regard pur
et qui nagent, blanches mouettes,
dans les ténèbres et l’azur.

Ma vie en silence s’écoule,
c’est pour peu d’hommes que j’écris,
car si je chantais pour la foule
je pousserais bien d’autres cris.

Des deux poings défiant les astres
je clamerais à grand fracas
et ferais crouler les pilastres
et les balustres sur mes pas ;

ou, plaignant ma longue misère
en des tumultes mesurés,
d’une voix qu’on dirait sincère,
Apollon, je t’invoquerais.
Je pourrais dater une stance,
doux exotisme, de Turin,
de Heidelberg ou de Constance,
sans n’avoir jamais pris le train.

Et je plairais aux demoiselles,
ayant mis à mon violon,
non des cordes, mais des ficelles
pour des romances de salon.

Et peut-être dans mon vieil âge
pourrais-je voir sur mon perron
un laurier bercer son feuillage…
Mais à quoi bon ? mais à quoi bon ?

La gloire éclot, jaunit, se fripe
et se fane de l’aube au soir
et j’aime mieux fumer ma pipe
que renifler son encensoir.

Tristan Derème

dans Le poème de la pipe et de l’escargot 1912

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