Pour distraire mon ami Le poète Léon Vérane
Les fraises sur le plat de blanche porcelaine
gardent la fraîche odeur de l’aube sur la plaine,
des branches, de la mousse et des sources glacées.
Sur la nappe j’ai mis ton bouquet de pensées
et tandis que les yeux pensifs tu te recueilles,
ce soir grave, je vois glisser entre les feuilles
la lune comme dans les vieilles élégies.
Un souffle tiède et pur caresse les bougies
et berce la glycine et les roses blafardes
et la tonnelle. Prends des fraises. Tu regardes
au champagne doré le sucre se dissoudre ;
le temps sur nos cheveux verse du sucre en poudre
et j’aurai quelque jour de larges mèches blanches.
Mais qu’importe ! ce soir vers moi si tu te penches
sans crainte de l’automne et des feuilles rougies
et si pour mes baisers tu souffles les bougies.
Tristan Derème
dans Le poème de la pipe et de l’escargot 1912