Cette semaine notre ministre à l’éducation nationale nous a annoncé le retour de la grammaire. La lecture syllabique, la grammaire, et après ? Cela me fait penser à ce discours managérial de l’entreprise moderne : « si ça ne marche pas, c’est sans doute que tu n’appliques pas la méthode que l’on préconise ; mais si en appliquant la dite méthode, cela ne marche toujours pas c’est qu’il va peut-être falloir revoir celle-ci et en attendant revenir aux basiques ». Ou bien ce discours sportif avec une pointe d’accent : « il est urgent de retrouver nos fondamentaux… » La lecture syllabique, la grammaire, et puis quoi? L’auto-dictée quotidienne, le poème ou la lecture hebdomadaire…
En 1929, chez Emile-Paul Frères, Tristan Derème sort le livre: Patachou Petit Garçon. 49 textes, récits, chroniques…dans lesquels l’auteur va dialoguer avec un petit garçon de six ans, son neveu dans la vie, mais peut-être l’enfant qu’il a été dans l’ouvrage. Entre le conte et le dialogue initiatique, Tristan Derème fait preuve d’une extraordinaire acuité sur le monde de l’enfance et témoigne de sensibilité et d’humanisme.
Il aborde à travers ses textes de nombreux sujets tournant autour des différents apprentissages scolaires et existentiels de l’enfant à l’âge de Patachou : l’orthographe, la conjugaison, la poésie, les croyances, la logique, les rêves, la vie…
Y a t il un rapport entre ce que nous propose le ministre et l’extrait du livre suivant ? À vous de vous faire une opinion…
Patachou et le verbe être.
« -Patachou, vas-tu te décider à apprendre le verbe être ? À ton âge, je le savais déjà. Commence : je suis, tu es…
Patachou regarde par la fenêtre :
– Tu as vu ? me dit-il ; un moineau s’est posé sur l’arbre.
– Patachou, il n’est pas question de moineau ! Je suis, tu es…
– Est-ce que les moineaux apprennent les conjugaisons ? Il y a, peut-être, des moineaux professeurs…
Saura-t-il jamais son verbe ? Je vous avoue que je ne me rappelle plus du tout comment, en des temps anciens, j’en suis venu moi-même à l’apprendre ; et je tremblerais aujourd’hui, si je l’ignorais, et que je dusse le loger dans mon esprit. C’est, sans doute, le verbe le plus singulier qu’on puisse rencontrer. Quand vous dites : j’aime, tu aimes, nous aimerions, aimer, aimant, vous prononcez sans cesse un mot qui demeure toujours le même et dont la fin seule se transforme. On le pourrait comparer à un bon chien qui aurait tantôt une queue de lion, tantôt une queue de paon, tantôt une queue de rat : mais ce chien serait toujours un chien.
Le verbe être, hélas ! je pense qu’il fut inventé par Protée ou par un prestidigitateur… »
Sans suivra une démonstration sur la difficulté d’apprendre le verbe être .
« Pauvre Patachou, comment pourra-t-il se mettre en la tête être et nous fûmes ! »
En 1930, Patachou sera illustré par Hellé toujours chez l’éditeur Emile-Paul. Un merveilleux album qui fait date dans la littérature illustrée pour enfants. Il n’y a pas d’âge pour le lire.