De la contre-assonance, Tristan Derème nous livre sa définition dans la préface de La Verdure Dorée parue en 1922. Un extrait :
« …Nous avons méthodiquement utilisé dans ce livre la contre-assonance. Tandis que dans l’assonance, le son des voyelles subsiste dans la variation des consonnes, dans la contre-assonance, les consonnes se maintiennent dans la mutation des voyelles. La rime dit : lèvres – fièvres ; l’assonances : lèvres – Thèbes ; la contre-assonance : lèvre – livres ; elle dirait aussi : cœur – décor, amer – endormir ; certains – printemps, etc…C’est exécutée sur la vieille et solide rime, une variation qui donne à l’ouïr une impression ambiguë de liberté, de surprise et de malaise… »
Lèvres – Livres. Une contre-assonance que l’on retrouve à la fin du poème cité en tête de ce blog, « je dirai pour l’instruction des biographes.. », et cela à l’intérieur même de son dernier vers !
Et j’aimais beaucoup moins tes lèvres que mes livres.
Cinquante pages plus loin dans le poème CXIV, « Pour goûter au charme unique », Tristan Derème nous dit exactement le contraire dans un texte paru au préalable le 5 octobre 1910 dans la petite revue parisienne de lettres : L’île sonnante. Un poème que ne devait pas satisfaire Derème, puisqu’en une dizaine d’années, sur les neufs strophes initiales, deux disparurent et quatre furent rajoutées pour en donner au final onze dont celle-ci, qui restera commune aux deux versions :
Ah ! Vivons ! La page écrite
Ne vaut pas les lèvres qu’on
mord ! Vers l’amour. Démocrite
Spinoza, Hegel, Bacon,
…
Lèvres ou Livres, contre-assonance, Tristan Derème sur un balancier qu’il ne quittera jamais, amour- littérature, baisers-écritures…Comment aimer et/ou écrire ? Lèvres chez Derème rimera toujours avec Livres.
Et maintenant pour le plaisir, le poème version l’île sonnante de 1910 :
Pour goûter au charme unique
qui jaillit de ton baiser
Diogène le Cynique
courrait se faire raser.
S’ils savaient ton regard, ivres
les sages silencieux
verraient fleurir dans leurs livres
des pivoines et des yeux.
Et mordus, de quelles fièvres !
secouant toge ou veston
et sautant comme des lièvres,
ils crieraient : Où la voit-on ?
Dans leurs veines, escarboucles
liquides et plomb fondu ;
tu les verrais pour tes boucles,
poussant un cri éperdu,
tous, contemporains d’Ulysse
et disciples de Bergson,
se rouler nus, ô délices !
sur des peaux de hérisson.
Ah ! vivons ! La page écrite
ne vaut pas les lèvres qu’on
mord ! Vers l’amour. Démocrite,
Spinoza, Hegel, Bacon,
Monsieur Durkheim, Xénophane,
vers l’amour ! Vous chanteriez,
sans archet ni colophane,
violons extasiés !
Car plus belle que les strophes,
tu ouvrirais tes volets
pour jeter aux philosophes
tes sourires envolés
Tristan Derème