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Il y a quelques jours, je lisais dans un ouvrage que je venais de recevoir, le souvenir que Philippe Chabaneix écrivait en 1942, de Tristan Derème. Les deux poètes s’étaient liés d’amitiés vingt six ans plus tôt, au début par correspondance : l’un faisant encore sa philosophie au lycée de la Rochelle, l’autre incorporé au 23ème d’artillerie à Toulouse. Le poète racontait qu’il avait tenu, lycéen des manuscrits de poèmes qui allaient constituer plus tard le recueil Le Poème des Chimères Etranglées, et qu’aujourd’hui s’il n’avait qu’une seule des plaquettes à retenir de Tristan Derème ce serait celle-là. « J’engage tous ceux qui s’obstinent à ne vouloir considérer dans la poésie de notre ami que son caractère fantaisiste à se pencher de nouveau sur certaines élégies de ce livre admirable. »

Le poème des chimères étranglées
Page de grand-titre du Poème des chimères étranglées – Tristan Derème -1921

Le Poème des Chimères Etranglées est paru en 1921 chez Emile-Paul Frères, Paris. 73 pages, 41 poèmes. 10 exemplaires sur papier de Chine, 30 sur Vélin japonisé, 650 sur papier vergé de Corvol-l’Orgueilleux. Ces poèmes seront repris l’année suivante dans le recueil La Verdure Dorée. Le Poème des Chimères Etranglées portait en première page une citation de Taine :

« De vingt à trente ans, l’homme, avec beaucoup de peine, étrangle son idéal ; puis il vit ou croit vivre tranquille ; mais c’est la tranquillité d’une fille mère qui a assassiné son premier enfant. »

1916-1921, Tristan Derème n’a pas encore rencontré Béatrix Dussane. Est-ce le souvenir de Laure Salet (1909), d’une Suzanne tarbaise (1912 et plus), ou d’une autre muse qui habite les poèmes de ce recueil ? Toujours est-il que c’est pour moi aussi celui que je préfère (avec le Navire et la Maison). Je le lis chaque fois sans délaisser un poème et chaque fois je retrouve l’émotion, l’amour pudiquement exprimé, ce style sans fioritures sans excès, simple. J’y retrouve le poète. En voici un dans son intégralité, qui nous conte la lutte éternelle entre le créateur et sa muse.

Tu n’aimes pas les vers car tu es belle et dis
Qu’il faut saisir le temps sous des ongles hardis
Et tenaces, le déchirer, rouge grenade,
Le mâcher et jeter l’écorce vaine. Une ode,
Son ampleur magnifique et son rythme pareil
Aux respirations des flots sous le soleil,
Sa splendeur, son tumulte et ses tempêtes sourdes,
Qu’importent, et tout l’art, puisqu’il faut que tu mordes
Ivre et pour en jouir la vie à pleine dents !
« Les poètes, dis-tu, qui contemplent, qui dans
Le secret de leur cœur reconstruisent le monde,
Peignent de vains décors sur des coques d’amande.
Je tressaille, je plonge et je m’évanouis
Au durs baisers du fleuve, à ses cris inouïs,
L’eau m’emporte, me bat , m’enivre, et quand j’émerge,
Poètes, je vous vois qui rêvez sur la berge. »

extrait du Poème des chimères étranglées, p10

À bientôt, et lisez un peu de poésie…Et pourquoi pas, partez à la recherche des Chimères!

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